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LE BORDEREAU


de l’État-Major général et l’intrigant ? Et ce petit pont de la Moselle, où ils se promènent, grandit, s’étend, immense, au-dessus de l’Océan, de l’île de Ré à l’île du Diable.

XI

Mais, surtout, il est juif.

Quand, en sortant de l’École de guerre, Dreyfus est entré à l’État-Major, Sandherr est allé trouver le général de Miribel, le conjurant de ne point laisser pénétrer ce fils de la race maudite dans le lieu saint. Picquart, chargé de répartir les stagiaires, a si bien connaissance de cet état des esprits qu’il place Dreyfus à la section des manœuvres, qui n’avait pas à s’occuper de questions secrètes, et sous les ordres d’un officier libre de préjugés, Mercier-Milon[1]. L’antisémitisme, dans ce milieu clérical, surchauffé par la lecture de la prose meurtrière de Drumont, n’a pas cessé, un instant, de le guetter.

Dès lors, quand D’Aboville a eu décidé que l’auteur du bordereau ne peut être qu’un officier stagiaire, il suffit que son nom surgisse. Fabre et D’Aboville conviennent que ce n’est point la comparaison des écritures qui a porté leurs soupçons sur Dreyfus. C’est qu’ils avaient déterminé d’abord certaines catégories où il fallait chercher le traître. Or, Dreyfus se trouvait dans le cercle fatal où ils cherchaient. Leur idée préconçue est imbécile, mais elle les mène à son nom, et leur

  1. Rennes, I, 373, Picquart.