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HISTOIRE DE l’AFFAIRE DREYFUS


VII

Mercier a dit[1] « qu’il ressentit une impression terrible ». Je veux le croire. L’officier soupçonné « portait l’uniforme qu’il avait porté lui-même » ; c’était « un enfant de cette Alsace où lui-même avait passé son enfance ». Seulement, il était juif.

« Le fait, déclare Mercier, paraissait ne pas être douteux, à première vue. »

Ici, je dois croire que Mercier se calomnie lui-même, rétroactivement, et que son opinion ne fut pas faite en cinq minutes. Quel est le fait qui parut ne pas être douteux ? La similitude d’écriture ? Évidemment, les écritures se ressemblent, à première vue ; il n’était besoin toutefois que d’un examen un peu plus attentif pour découvrir, entre celle du bordereau et celle de Dreyfus, d’inquiétantes divergences. Et alors même que la similitude eût été plus grande encore, suffisait-elle à établir le crime, à supprimer le doute ?

Il n’y a point d’acte sans mobile ; quel était le mobile de celui-ci, le plus ignoble de tous, qui ne se commet que pour de l’argent ?

Boisdeffre savait que Dreyfus était riche, ambitieux, d’une haute culture intellectuelle, de conduite régulière,

    Cordier (II, 497), le général Mercier n’aurait été avisé que le surlendemain 8 octobre. Cordier rapporte que, rentré de permission le dimanche 7, il apprit le 8, de Sandherr, l’affaire du bordereau. Sandherr lui dit : « On vient de trouver le nom du coupable » ; et il le nomma : « mais le ministre ne le sait pas encore ; le général de Boisdeffre le lui dira dans l’après-midi. » Ni Mercier, ni Boisdeffre ne précisent ; ils restent dans le vague.

  1. Rennes, I, 87, Mercier.