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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Donc, le traître ne peut être qu’un officier stagiaire, appartenant à l’artillerie ; il ne peut se trouver que dans cette triple enceinte, très resserrée.

Ici encore, Fabre eût pu objecter que le bordereau, comme il paraissait dès sa première phrase, n’était point le premier acte de trahison qui avait été commis par l’inconnu. Le traître, dans cette dernière circonstance, a livré ou promis trois notes sur l’artillerie. Dans les occasions précédentes, qu’a-t-il livré ? Les hasards de la chasse aux renseignements sont variables. Si l’on était tombé sur une lettre mentionnant des documents relatifs à la cavalerie ou à l’infanterie, D’Aboville en eût-il conclu que l’espion était un cavalier ou un fantassin ?

Le journal des Sciences militaires a publié, dans son numéro de mai, une étude sur le 6e corps et les troupes de couverture ; tout lecteur de ce journal a pu faire une note sur la couverture, et, de même, tout lecteur avisé d’un document que le ministère de la Guerre publie tous les ans sur l’emplacement des troupes. Les renseignements militaires sur Madagascar sont si peu secrets que les journaux en sont pleins[1].

Mais Fabre n’objecta rien. Les deux officiers prennent la liste des officiers d’artillerie, stagiaires à l’État-Major ; D’Aboville, antisémite notoire, tombe en arrêt devant le nom du capitaine Dreyfus[2].

Aussitôt, dans le cerveau de ces deux hommes, une nouvelle idée s’enfonce, d’un seul coup, pour s’y fixer : le Juif !

  1. Cass., I, 541 et 543, Hartmann. — En juin 1894, le capitaine Jeannot publie dans le Mémorial de l’artillerie de la marine une étude « géographique et militaire » sur Madagascar. Le 15 août 1894, la France militaire énumère une série d’articles sur le même sujet.
  2. Alfred Dreyfus, né à Mulhouse, le 19 octobre 1859, « d’une vieille famille alsacienne ». (Revision du procès de Rennes, rapport Baudouin, 68).
     Son père, né à Rissheim (Haut-Rhin), « mourut dans la même localité le 12 mai 1891 ». Il avait opté en 1871 pour la nationalité française.
     Alfred Dreyfus fut reçu en 1882 à l’École polytechnique ; il en sortit dans l’artillerie. Il avait épousé, en avril 1890, la fille d’un négociant en diamants, Lucie Hadamard.