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APPENDICE

D’autre part, le 24 avril 1899, dans une lettre au ministre de la Guerre, Mercier avait écrit : « Cette note avait été établie pour moi personnellement et ne faisait aucunement partie du dossier. Aussi j’avais donné l’ordre de la détruire en janvier 1895, quand j’ai quitté le ministère de la guerre, et l’original a, en effet, été détruit devant moi. »

Cette dernière version, si elle est exacte, aggraverait encore le cas de Mercier. S’il n’a détruit le commentaire qu’en quittant le ministère, le 27 janvier 1895, plus d’un mois après la condamnation de Dreyfus qui est du 22 décembre 1894, il montre la peur qu’il a de voir sa forfaiture révélée par le dossier secret à son successeur, le général Zurlinden. De plus, du 22 décembre au soir, où le dossier rentra, par les soins de Du Paty, au ministère de la Guerre, jusqu’au 27 janvier, le commentaire serait resté avec les autres pièces, soit au cabinet du ministre, soit à celui de Boisdeffre, soit au service des renseignements. Donc, Mercier, tant qu’il était ministre, n’aurait pas considéré la pièce comme sa propriété particulière, ainsi qu’il l’affirme, mais comme une pièce judiciaire et une pièce d’État.

Ainsi, le prétexte qu’il allègue, il le détruit lui-même.

Il est significatif que Mercier, à Rennes, n’a pas repris sa version du 24 avril 1899 : la destruction au moment de son départ du ministère. Sa première réponse à Demange la contredit ; dans sa deuxième réponse, qui place la destruction après le rejet du pourvoi[1], il invoque des raisons qui n’ont rien à voir avec sa sortie du ministère. Cependant, on ne voit pas bien Mercier, au moment où il cesse d’être ministre, disant à Sandherr « qu’il ne devait pas rester de traces du commentaire[2] ». C’est avouer sa crainte de l’honnête successeur, se mettre entre les mains de Sandherr. L’ordre brutal se comprend mieux, le jour même de la rentrée des pièces secrètes.

  1. 31 décembre 1894.
  2. Rennes, II, 221, Mercier.