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MERCIER


et, selon la loi physiologique, va s’exaspérer de sa propre absurdité.

Mercier donne cours à sa colère. Quoi ! depuis janvier, le service de la statistique sait que Schwarzkoppen a embauché un officier et que l’attaché allemand tire du ministère de la Guerre ses renseignements ! Et, depuis neuf mois, aucun indice n’a été recueilli ! À quoi sert ce coûteux office ? Que fait le général Gonse, sous-chef d’État-Major, qui l’a directement sous ses ordres ? Et Boisdeffre lui-même ?

Mercier, mieux que tout autre, se rendait compte combien sa situation, politique et militaire, était devenue précaire. Que la trahison s’ébruite et que le traître reste introuvable, ce sera, pour lui, le coup de grâce. La presse, les Chambres qui vont être convoquées, imputeront à lui seul cette incurie. À tout prix, — vous l’entendez, Gonse ! et vous, Boisdeffre ! — il faut découvrir le traître. Le cercle des recherches est petit, circonscrit à l’État-Major. Cherchez, trouvez !

Le général de Boisdeffre prétend « qu’il était absent lorsque survint la découverte du bordereau[1] ». Selon Mercier, au contraire, le document reçu par Henry fut porté par lui au colonel Sandherr, « par qui il est arrivé au général Gonse, au général de Boisdeffre et enfin au ministre[2]». Contradiction singulière.

Quant à la manière dont le bordereau est arrivé, Mercier, Gonse, les officiers du bureau, Lauth, Gribelin, tous, sauf Boisdeffre, qui s’en tait, et Cordier, qui semble

  1. Cass., I, 259, Boisdeffre.
  2. Cass., I, 3, Mercier. — À Rennes, Mercier insiste : « Le bordereau avait été remis au commandant Henry, et présenté par lui à son chef le colonel Sandherr, et au général de Boisdeffre. » Boisdeffre dit simplement : « Le bordereau a été découvert et apporté au ministère en septembre, comme vous savez. » (Rennes, I, 518.)