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LA CHUTE DE MERCIER


moyens d’investigation dont vous disposez, vous n’arriviez pas à éclairer cette tragique histoire… Au nom de ce que vous avez vous-même de plus cher, faites poursuivre les recherches… » En terminant, il prie le ministre de l’autoriser à écrire plus de deux fois par semaine à sa femme, « à cette malheureuse enfant qui a tant besoin d’être soutenue », et à travailler dans sa cellule « pour permettre à son cerveau d’attendre l’heure éclatante de la réparation… C’est tout ce que demande le plus infortuné des Français[1] ».

La lettre resta sans réponse.

Le lendemain de l’arrivée de Dreyfus au dépôt, Picqué examina, pièces par pièces, tous les vêtements de son prisonnier. Il trouva dans la poche intérieure d’un gilet la copie du bordereau dont Dreyfus s’était servi pendant les débats de son procès, et qu’il avait emportée pour en conserver le souvenir exact. Ce chiffon de papier parut à Picqué quelque chose de redoutable. Il ne savait rien du procès, et, comme tout le monde, ignorait le texte du bordereau et l’existence même de cette unique pièce du dossier. Il l’envoya aussitôt au ministre, à Paris, avec un rapport[2]. Mais il ne fit point part à Dreyfus de cette saisie, « craignant qu’il ne se livrât à quelque acte de désespoir ».

Une légende circula plus tard qu’une preuve nouvelle de son crime avait été ainsi découverte au dépôt de Saint-Martin-de-Ré, le brouillon du bordereau !

Désormais, chaque jour, Dreyfus fut mis nu et fouillé.

Ceux-là seuls qui ne les ont pas éprouvées ou vu infliger traitent de petites misères les mille humiliations, vexations, privations, besognes sales et dégradantes,

  1. 26 janvier.
  2. Cass., I, 807, Picqué. Rapport du 19 janvier 1895. Le rapport se termine ainsi : « Il ne discontinue pas de parler de son innocence et j’ai dû couper court à ses protestations. »