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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


candidature du ministre de la Marine, Félix Faure, et la Chambre avait préféré Brisson à Méline. La marée montante des scandales lui causait un amer dégoût. L’esprit public risquait de s’y corrompre. L’affaire Dreyfus n’avait pas été seule à alimenter l’appétit malsain des foules. Des fournisseurs avaient été arrêtés pour concussion, une fournée de journalistes pour des tentatives de chantage[1]. Le Gouvernement se faisait gloire de ces poursuites, étalant sa vertu. Tout semblait corrompu dans ce pays si profondément honnête. Le chef de l’État continuait à n’être informé des grandes et des petites affaires que par les journaux. Hanotaux lui refusait toujours la connaissance des dépêches. S’il avait conjuré le danger allemand, il restait exposé à s’entendre dire un jour, dans des circonstances peut-être plus graves, par un ambassadeur étranger, que ses déclarations n’étaient pas conformes à celles du ministre des Affaires étrangères de France[2]. Systématiquement, les ministres réduisaient la Présidence de la République à n’être plus qu’une machine à signatures. Cependant, socialistes, césariens, démagogues de toutes sortes, s’excitaient à poursuivre contre le chef de l’État leur campagne de diffamations et d’injures. Jaurès avait défendu devant le jury, dans un plaidoyer plus cruel que l’article poursuivi, le plus violent de ses insulteurs[3]. La Cour d’assises de la Seine n’avait pas plus tôt condamné Gérault-Richard à un an de prison[4], qu’un arrondissement de Paris l’élisait député. Casimir-Perier reçut ce soufflet le jour même ou il réglait l’incident soulevé par l’Empereur

  1. Plusieurs de ces poursuites aboutirent à des acquittements.
  2. Rennes, I, 67, Casimir-Perier.
  3. Gérault Richard, rédacteur du Chambard. (Procès du Chambard, plaidoirie de Jean Jaurès, une brochure de propagande Paris, 1894).
  4. Audience du 5 novembre 1894.