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LA CHUTE DE MERCIER


des ruines qui lancent leur fumée vers le ciel. Hier, affamée de cruauté, parce que les clameurs de la foule affolée servaient les desseins de la Congrégation et ses propres passions, elle réclame aujourd’hui le silence, parce que la discussion, le crime une fois accompli, gênerait la cristallisation des haines de race et de religion dans l’âme populaire. Tous les moyens sont bons pour imposer ce silence : outrages, calomnies, menaces, appels aux fureurs de la rue, et, plus honteux encore, appels à la peur de l’étranger et de la guerre. « Cette querelle n’est entretenue que par les reptiles d’Outre-Rhin. Il y va de la sécurité du pays. Si Dreyfus n’est pas tué, que son affaire soit morte pour toujours[1] ! » Le silence se fit.

IX

Un événement imprévu, qui parut inexplicable, détourna de ces dernières polémiques les esprits lassés.

Le 15 janvier, Casimir-Perier donna sa démission de Président de la République.

Depuis quelques semaines, il s’était fortifié, à la fois par découragement et par une haute notion du devoir, dans son projet de se démettre de ses fonctions. Il s’en était ouvert, dès l’automne, à quelques amis dont j’étais[2]. Nos objurgations lui parurent démenties par l’événement. L’ami, dont l’éloquente objection eût pu l’arrêter, était mort. Il eût voulu que Burdeau fût remplacé à la présidence de la Chambre par un de ses amis politiques. Les ministres avaient opposé leur veto à la

  1. Petit Journal du 13 janvier, article de Judet.
  2. Voir page 137.