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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


de le dénoncer, il se trouve pris, à son tour, et réduit à demander à Casimir-Perier un moyen de se tirer d’affaire.

Le Président de la République a déclaré loyalement quelle est l’origine du bordereau ; il pensa pouvoir déclarer, s’attachant à la lettre de la dépêche impériale, qu’il n’impliquait pas l’ambassade d’Allemagne dans l’affaire du capitaine Dreyfus. « Rien, dit-il, de ce que nous avons n’établit que le document ait été sollicité. L’ambassade n’est pas plus responsable des papiers qui lui sont adressés que la France de ceux qu’elle peut recevoir. »

Ainsi, d’un même argument, il donna à la question précise qui lui était posée par l’Empereur allemand une réponse satisfaisante, et il écarta la question, non moins gênante, de la façon dont le bordereau était parvenu entre les mains de Mercier.

Réponse subtile et d’une habileté consommée. Elle dut pourtant coûter à Casimir-Perier. Non pas qu’il ait cru alors à l’innocence de Dreyfus. S’il a trouvé pauvre le dossier qu’il ne connaît que de la veille[1], il ne s’inclinait pas moins devant la chose jugée, et la croyait bien jugée. Mais, s’il ne lui répugne pas d’insinuer que le traître a pu s’offrir lui-même, il ne va pas jusqu’à croire que l’attaché militaire allemand n’a pas été en relations avec l’espion français, soit directement, soit par l’intermédiaire de l’attaché italien. C’est ainsi qu’il rattache, d’après les dossiers qu’il a vus et les affirmations de

  1. Rennes, I, 65, Casimir-Perier. « Ce n’est que quatorze jours après la condamnation que j’ai eu connaissance d’un dossier ; je ne sais même pas si je puis dire du dossier. J’ai dû le faire réclamer expressément au ministère de la Guerre. La condamnation est du 22 décembre, et c’est le 5 janvier, à l’occasion de l’entretien que je devais avoir le lendemain avec l’ambassadeur d’Allemagne, que j’ai réclamé la communication de ce dossier. »