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LA CHUTE DE MERCIER


n’avait pas été prise dans des papiers de rebut par un agent de la Sûreté, mais vendue à l’État-Major par un officier allemand ; il y a ainsi « dans l’armée allemande, comme dans la nôtre, des Dreyfus[1] ». La Cocarde, journal de Barrès, maintient « de bonne source » que le huis clos a été imposée par Munster à Mercier[2]. l’Intransigeant révèle que la pièce originale, volée à l’ambassade, a été restituée pour éviter la guerre, mais qu’elle a été photographiée au préalable par Bertillon qui en a déposé au huis clos[3].

Paris s’amusait de ces histoires, à la fois crédule et sceptique. Munster s’en indigna, les transmit à Berlin, où l’irritation ne fut pas moins vive.

Le jour même où parut la note du Figaro, Hanotaux quitta Paris pour le Midi[4]. Depuis deux semaines, il gardait la chambre, fuyant dans une maladie, qui n’était pas entièrement feinte, l’importune dénégation de Munster. Cependant il recevait à déjeuner, la veille ou le jour même de son départ, l’historien Gabriel Monod, son maître. Monod, déjà tourmenté de doutes, posa brusquement cette question à son ancien élève : « Êtes-vous certain de la culpabilité de Dreyfus ? — Ce n’est pas moi qui l’ai jugé, reprit froidement Hanotaux, je n’ai rien à vous dire. » Monod n’insista pas, mais ce refus de répondre accrut son inquiétude. Il sortit avec le secrétaire du ministre, qui, arrivé dans la rue, lui confia : « Nous croyons que le général Mercier a commis une épouvantable erreur[5]. »

  1. Libre Parole du 28 décembre.
  2. Cocarde du 29.
  3. Intransigeant du 29.
  4. 26 décembre.
  5. Cass., I, 457, Monod. — À Rennes, Hanotaux dépose qu’il a perdu tout souvenir de ce déjeuner (dont Monod se rappelle le menu), et que son secrétaire Willox ne s’en souvient pas davantage, pas plus que du propos allégué. (I, 224.)