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LA CHUTE DE MERCIER


qu’aucun attaché ou agent allemand n’a jamais eu de rapports avec Dreyfus.

En jouant sur les mots, dans une phrase d’une aussi jésuitique audace, Hanotaux et Dupuy ne comptaient pas, sans doute, abuser indéfiniment l’ambassadeur allemand, mais gagner du temps.

Le bruit public, le procès, de quelque ombre épaisse que Mercier l’eût enveloppé, ne tardèrent pas à détromper Munster. L’Allemagne était nommée par tous les journaux, insultée par les thuriféraires de Mercier, accusée d’invraisemblables manœuvres, comme d’avoir imposé le huis clos au patriotisme frémissant du ministre de la Guerre. Selon Rochefort, « non seulement Munster a exigé le huis clos, mais, comme Mercier voulait la peine de mort, l’ambassadeur, brandissant ses passe-ports, a indiqué dans le code militaire l’article que le conseil de guerre devra appliquer, et qui ne vise que la déportation[1] ». Le journal de Drumont affirme de même que « le Gouvernement français a cédé aux menaces de Guillaume[2] ». La presse allemande attribuait l’excès des colères populaires moins à la religion et à la race de Dreyfus qu’à un retour du vieux chauvinisme, de la vieille haine contre l’Allemagne. La phrase de Demange sur l’unique pièce du dossier confirmait la rumeur d’un document volé à l’ambassade impériale. Les prescriptions les plus sévères n’avaient pas empêché des officiers de parler. L’incoercible force de la vérité a rompu, encore une fois, les toiles d’araignée de la diplomatie.

Ainsi, la parole de Munster, parlant au nom de son Empereur, a été donnée en vain ; Mercier a continué à accuser Dreyfus d’avoir été aux gages de l’Allemagne,

  1. Intransigeant du 25 décembre. — De même l’Éclair, etc.
  2. Libre Parole des 14, 15 décembre, etc.