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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


duit devant les troupes : « Je suis innocent ; si j’ai livré des documents à l’Allemagne, c’était pour amorcer et en avoir de plus importants. Avant trois ans, on saura la vérité, et le ministre lui-même reprendra mon affaire. »

Un commandant fit ce récit au rédacteur de la Libre Parole, Gaston Méry[1]. Le journaliste ne nomme pas cet officier. Est-ce Henry, alors commandant, qui depuis longtemps renseigne le journal de Drumont ?

D’où vient ce bruit ? Dreyfus a raconté à Lebrun-Renaud la visite de Du Paty lui demandant, au nom de Mercier, s’il ne s’est pas compromis dans quelque tentative d’amorçage. Mais il a dit aussi la réponse qu’il a faite à l’envoyé du ministre, et il n’a cessé de protester de son innocence.

Quand Lebrun-Renaud eut remis Dreyfus aux artilleurs qui étaient venus le chercher pour la parade, il descendit dans la cour où plusieurs officiers l’entourèrent. Il affirma sous serment, quatre ans plus tard, qu’il leur avait relaté ainsi les paroles de Dreyfus[2] :

  1. Libre Parole du 6 : « Un commandant nous raconte… » Méry donne le texte que je reproduis, moins ces mots : « Je suis innocent. » Mais ce texte avec ces mots est celui des autres journaux, Temps et Cocarde du 5 au soir, Autorité du 6. Le Temps et l’Autorité remplacent le mot « Allemagne » par « étranger » ; au contraire, le Petit Journal : « Il aurait bien livré des documents, ce qui est un aveu formel, mais, ajoutait-il, c’était pour en obtenir d’autres des Allemands. »
  2. Cass., I, 275, 19 décembre 1898 ; Rennes, III, 74. — Sur la feuille détachée de son calepin qu’il montra le 6 juillet 1898 à Cavaignac et qu’il brûla ensuite, Lebrun-Renaud aurait inscrit simplement, le 6 janvier 1895 : « Dreyfus était très abattu, m’affirmait que, dans trois ans, son innocence serait reconnue. Vers huit heures et demie, sans que je l’interroge, il me dit : « Le ministre sait bien que, si je livrais des documents, ils étaient sans valeur et que c’était pour m’en procurer de plus importants. » — Dans sa déclaration à Gonse et à Henry, le 20 octobre 1897, il donne la même version où il n’est pas davantage question de Du Paty. (Cass., II, 132.)