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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


rieux, maintenus par un double cordon de gardiens, serrés à étouffer, bruyants, battant la semelle. Au-dessus de la mer des têtes, émergent des échelles, des arbres, la toiture de la Galerie des Machines, où d’autres spectateurs sont grimpés.

De gros nuages neigeux courent sous le ciel, poussés par l’âcre bise. Il a plu une partie de la nuit. Le sol de la cour Morland encore vide est luisant de boue[1].

Les journalistes, quelques privilégiés, l’académicien Claretie, l’historien Houssaye, le fils d’Alphonse Daudet, le poète Clovis Hugues, Barrès pénètrent dans la cour. Un emplacement leur a été réservé, entre deux détachements de troupes.

Des officiers viennent causer. L’un d’eux raconte qu’il faudra trois ans, des millions, pour refaire le plan de mobilisation livré à l’Allemagne par l’infâme.

Dès sept heures, le capitaine Lebrun-Renaud, de la garde républicaine, s’était rendu au Cherche-Midi pour y prendre possession de Dreyfus[2]. Il était prêt, revêtu de son uniforme dont les bandes, les boutons et les galons ne tenaient que par un fil, le sabre au côté.

Forzinetti, avant de remettre son prisonnier à Lebrun-Renaud, lui serra la main, lui dit de prendre courage, qu’il n’y a que la tombe dont on ne sort pas et que son innocence sera reconnue un jour[3].

Dreyfus fut mené d’abord au greffe de la prison et fouillé. Puis deux gendarmes lui présentèrent les menottes. « Est-ce l’ordre ? » dit-il à Lebrun-Renaud qui ne répondit pas, mais fît un geste aux gendarmes qui exécutèrent la consigne.

Le condamné a eu un moment de révolte. Une fois

  1. Figaro, Libre Parole, etc.
  2. Cass., I, 275 ; Rennes, III, 72, Lebrun-Renaud.
  3. Cass., I, 322, Forzinetti.