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LA DÉGRADATION


Ducos et le régime plus cruel, sous un climat meurtrier : l’île du Diable, du groupe des îles du Salut, en face de Cayenne[1].

IX

La journée du 1er janvier 1895 se passa sans que Lucie Dreyfus reçût l’autorisation de voir son mari. Il soulagea sa douleur en lui écrivant : « Laisse-moi m’épancher un peu, pleurer à mon aise dans tes bras. Ne crois pas pour cela que mon courage faiblisse ; je t’ai promis de vivre, je tiendrai ma parole. Mais il faut que je sente constamment ton âme vibrer près de la mienne, que je me sente soutenu par ton amour. »

Elle s’inquiétait de l’autorisation qui ne venait pas : « Quelle raison pourraient-ils encore invoquer maintenant, si ce n’est celle de la cruauté, de la barbarie ? »

Demange m’avait prié de lui obtenir une audience du président du Conseil. Il voulait dire à Dupuy son angoisse, sa certitude de l’innocence du condamné. Je vis le ministre ; il refusa de recevoir Demange avant la parade d’exécution ; la visite pourrait être connue des journaux ; on raconterait que l’avocat était venu solliciter une grâce impossible. Je dis à Dupuy ma propre conviction et qu’un jour,

  1. La proposition fut faite au Conseil des ministres du 5 janvier 1895, adoptée aussitôt et annoncée par les journaux. (Petit Journal du 6). — Le Père Du Lac, avec son ordinaire imprudence, écrira en 1901 : « L’attention a été tellement attirée vers Cayenne, ces dernières années, qu’il semble que parler de son climat si délétère devient presque une inutilité. » Célébrant les jésuites qui furent envoyés en Guyane et à l’île du Diable : « Avec quelle émotion nous leur disions adieu, assurés que la nouvelle de leur mort ne pourrait pas tarder ! » (Jésuites, p. 340.) Et plus loin : « Le climat était meurtrier. »