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LA DÉGRADATION


même d’employer tous les moyens d’investigation dont il peut disposer pour faire la lumière, trouver le mot de l’énigme[1].

Du Paty répondit que des intérêts supérieurs à ceux du condamné, l’origine même du bordereau, empêchaient d’avoir recours aux moyens habituels d’investigation ; cependant les recherches seront poursuivies. Il promet qu’il en fera la demande à Mercier[2]. Ceux que Dreyfus appelle les vrais coupables, que Du Paty appelle les complices, « on fera tout pour les découvrir[3] ». Et

  1. Rapport de Du Paty.
  2. Rennes, I, 40 ; II, 287 ; III, 99, Dreyfus. — Les preuves de cette promesse abondent. Le 15 août 1895, le commandant supérieur des îles du Salut interroge Dreyfus « qui répond en sanglotant : « M. le commandant Du Paty m’avait promis, avant mon départ de France, de faire poursuivre les recherches. Je n’aurais pas pensé qu’elles pussent durer aussi longtemps. » — Il n’y a pas six mois qu’il est à l’île du Diable ; nous voilà loin du terme fatidique de trois ans ! — Le 25 novembre 1897, dans une lettre au Président de la République, Dreyfus rappelle la visite et la promesse de Du Paty. (Cass., III, 325.) — Le 28 février 1898, alors qu’il ignorait tout des événements récemment survenus, il adressa une pétition au Sénat et à la Chambre. Cette pétition débutait ainsi : « Dès le lendemain de ma condamnation, c’est-à-dire il y a déjà plus de trois ans, quand M. le commandant Du Paty de Clam est venu me trouver, au nom du ministre de la Guerre, pour me demander, après qu’on m’eut fait condamner pour le crime abominable que je n’avais pas commis, si j’étais innocent ou coupable, j’ai déclaré que non seulement j’étais innocent, mais encore que je demandais la pleine et éclatante lumière, et j’ai aussitôt sollicité l’aide de tous les moyens d’investigation habituels, soit par les attachés militaires, soit par tout autre dont dispose le Gouvernement. Il me fut répondu alors que des intérêts supérieurs aux miens, à cause de l’origine de la lettre incriminée, empêchaient les moyens d’investigation habituels, mais que les recherches seraient poursuivies. » La pétition, par une violation de la Constitution et de la loi, ne fut pas transmise.
  3. Rennes, III, 513, Du Paty.