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LE PROCÈS

Quatre ans plus tard, quand je me procurai une copie du rapport et la portai à Yves Guyot, qui la publia dans le Siècle, ce fut une stupeur. Dans le monde entier, tous les esprits que la haine n’obscurcissait pas comprirent, furent retournés, acquis à la cause de la revision. Qu’eût-ce été avant le verdict, avant le sophisme de la chose jugée tenue pour la vérité, avant la légende des sept officiers, infaillibles, sacrés, qui n’ont pas pu condamner un camarade, à l’unanimité, sans des charges écrasantes ?

C’eût été l’effondrement des accusateurs, de Mercier, coupable, comme un instinct passager en avertissait Cassagnac, « de ce crime horrible : salir l’armée, en accusant, sans preuves absolues, convaincantes pour les plus sceptiques, un officier d’avoir vendu sa patrie à l’ennemi » ! Cette même opinion qui, abusée par tant de mensonges, exige la condamnation, comme elle se fût retournée ! En tout cas, plus de huis clos possible. Plus de pièces secrètes. Et que de malheurs évités !

Plus efficace encore serait la publication d’un fac-similé du bordereau. Dreyfus, de son cachot, criait à sa femme : « Cherchez le coupable, l’homme dont le crime m’est imputé, dont l’écriture m’est attribuée faussement… » Or, comment le trouver, sinon en lançant son écriture, celle du bordereau, à travers le monde ?

Quand, deux ans plus tard, ce fac-similé paraîtra dans un journal[1], Schwarzkoppen aussitôt y reconnaîtra l’écriture d’Esterhazy, et l’an d’après, ce sera un passant[2]. Cette écriture traînait partout.

Mais Henry avait eu cette crainte que le criminel pût être découvert par son écriture — et la photographie du

  1. Le Matin du 10 novembre 1896. Le fac-similé avait été vendu au journal par l’expert Teyssonnières.
  2. Procès Zola, I, 128, De Castro.