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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


non, croyez-vous à la machine infernale ? Oui ou non, êtes-vous sûr de la culpabilité du capitaine ? Réfléchissez bien, car si vous n’avez pas la foi, vous êtes un traître, un vendu ! » Saint-Genest refuse de courber sous le joug. Il ne sait rien de l’affaire Dreyfus et il lui importe peu que l’accusé soit juif ou non. Il n’est occupé que de l’armée ; il sait par des camarades l’incapacité du ministre ; il voit Mercier cherchant à s’imposer par les mêmes procédés dont a usé Boulanger ; il dénonce cette piperie. Quoi ! Mercier intangible, parce qu’il a été attaqué par la presse allemande ! « Idée triomphante qui ne pouvait germer que dans un cerveau français ! » Ainsi, que la guerre éclate demain, et l’armée aura pour chef « un homme imposé par ceux-là même qui, hier encore, lui reprochaient le plus furieusement son incapacité ». Car « ce sont les mêmes écrivains qui, dans les mêmes journaux, sans changer de signature, changent ainsi leurs fusils d’épaule, du jour au lendemain. Ce sont les mêmes qui, après avoir imprimé que Mercier trahissait la France, prisonnier des opportunistes et vendu aux juifs, écrivent allègrement aujourd’hui que c’est un crime de ne pas reconnaître ses mérites. Et, cet affreux ministre, qui était un immense péril national, est devenu subitement l’homme providentiel ! »

Une nouvelle bordée d’injures répondit à Saint-Genest. Pour détruire, auprès du peuple, quiconque s’oppose à leurs desseins, les jésuites ont une méthode invariable : les perdre d’honneur. Une seule accusation, toujours la même : la corruption. « Tu n’es pas de mon avis, donc tu as vendu ta plume, ton vote : voleur ! » Le moine de la Croix ignore les circonlocutions : « La juiverie commande et paye ; la presse piaille[1]. » Millevoye, Roche-

  1. Croix du 13 décembre 1894.