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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


retardé l’instruction, voulait sauver Dreyfus, intriguait avec les juifs[1].

Cette page de Saint-Genest, virulente, brutale, qui disait haut ce que tant de gens timorés pensaient tout bas, causa quelque émotion à la Chambre. Des bruits coururent d’interpellation, et même de crise. Le général Riu annonça, dans les couloirs, qu’il porterait le débat à la tribune[2]. Mercier, prudemment, l’en dissuada.

L’extrême gauche parlementaire, Millerand et Jaurès, avec toute la presse socialiste, s’était réconciliée avec Rochefort et compagnonnait avec Drumont. Elle n’avait hésité autrefois, pendant si longtemps, à rompre avec Boulanger, que pour ne pas rompre, du même coup, avec Rochefort. La brouille avec le démagogue blasonné lui avait été cruelle. On s’était rapproché à la première occasion ; Jaurès lui-même alla serrer la main de Rochefort exilé. Et, comme Rochefort, pour garder sa clientèle, suivait Drumont, les socialistes ménageaient la Libre Parole, ils souriaient à l’antisémitisme qui, minant le capitalisme juif, les aiderait à bousculer le capitalisme tout entier. Ils croyaient, pour la plupart, ou feignaient de croire qu’une vaste intrigue juive, tenant Hanotaux et Dupuy, essayait de sauver Dreyfus, et que Mercier seul résistait.

Jadis, les caprices d’un peuple qui n’était pas souve-

  1. Écho de Parisdes 26, 28, 29 et 30 novembre ; Libre Parole des 26, 30, etc. Ces journaux menaçaient Saussier de révélations sur un ancien officier de réserve, juif « qui s’était faufilé, assez longtemps, au ministère de la Guerre, où il acceptait toutes sortes de besognes, et qui fréquentait maintenant le gouvernement militaire de Paris ». C’était Maurice Weil, grand ami d’Esterhazy, son collègue autrefois, et celui d’Henry, au bureau des renseignements.
  2. Matin du 12 décembre, et la plupart des autres journaux.