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LE DOSSIER SECRET


n’avoir mis au dossier secret ni le texte officiel, ni le texte falsifié de la dépêche[1]. Il jure qu’il a prescrit de ne tenir aucun compte du télégramme, qu’il n’a donné à sa victime, dans le dos, qu’un seul coup de stylet.

Même s’il dit vrai, Mercier n’atténue guère sa forfaiture. Après la contre-épreuve de Sandherr, nul doute n’est possible sur la traduction définitive de la dépêche. Si Mercier produit la dépêche authentique, il faut renoncer à la thèse que Dreyfus a trafiqué avec Panizzardi. Or, cette thèse, c’est tout le dossier secret. La lettre Davignon, la pièce Canaille de D…, vont l’accuser, dans le huis clos, d’avoir trahi à la fois avec l’Allemagne et avec l’Italie. Il passait par Panizzardi pour arriver à Schwarzkoppen[2]. Cela bousculait un peu le rapport de D’Ormescheville qui ne mettait en cause que l’Allemagne, alléguant la prétendue facilité des voyages de Dreyfus en Alsace. Mais les juges ont pu être émus par les déclarations réitérées de l’ambassadeur allemand ; il n’y a eu qu’une note de l’Italie. L’ambassadeur allemand a pu démentir sans mentir.

La version officielle de la dépêche n’empêche pas seulement l’application de la principale des pièces secrètes à Dreyfus ; elle renverse tout le système de Mercier : la double trahison. Le miracle serait qu’il eût reculé à produire un faux probant, à ajouter le crime au crime.

Le commentaire compliqué de Du Paty était devenu ainsi « une notice biographique » de Dreyfus, la vie d’un traître. C’était net, affirmatif, de nature à faire impression sur les esprits simplistes des juges.

Du Paty connaissait beaucoup de sciences, même occultes ; mais Henry connaissait les hommes.

  1. Cass., I, 545 ; Rennes, I, 94 ; II, 223 ; III, 533.
  2. Ce fut, par la suite, la thèse constante de Gonse, d’Henry, de leurs journaux. — Voir Appendice X.