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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


riques déshonorants, il n’y a qu’un pas. Hier, de glorieuses gémonies ; aujourd’hui, d’infâmes statues.

Ainsi se corrompt l’esprit public ; ainsi se multiplient chez le peuple les germes d’une démoralisation meurtrière.

VI

L’élection de Casimir-Perier à la Présidence de la République, au lendemain de l’assassinat de Carnot, parut l’aube d’une ère nouvelle. L’Assemblée nationale n’avait pas acclamé qu’un grand nom ; le caractère de l’élu semblait la promesse d’un long avenir de sécurité et d’honneur. Tout de suite, les partis révolutionnaires et césariens s’unirent pour salir le nom, et les ambitions déçues ou jalouses pour briser l’homme ou le décourager.

Parce que le Roi de France avait oublié les injures du duc d’Orléans, Casimir-Perier commit la faute de maintenir aux affaires l’âpre politicien qui avait été son concurrent. Le faux paysan du Danube, à peine investi, s’appliqua à rendre son vainqueur impopulaire et à ne lui rien laisser ignorer de son impopularité.

La répétition des attentats anarchistes, le crime de Lyon appelaient des lois de répression, plus énergiques et surtout plus promptes, contre une secte en révolte ouverte et qui prêchait le meurtre. Dupuy fit ces lois plus dures et plus brutales qu’il n’eût été nécessaire. Le parti socialiste les baptisa « lois scélérates », les attribua à Casimir-Perier, déchaîna contre lui, sous l’œil bienveillant des radicaux, la tempête.

Il est peu probable que Dupuy ait calculé cette conséquence de la loi sur les menées anarchistes ; il se con-