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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


long en second, tir à longue portée et en tous les sens ». Un second ouvrage est appelé : « Travaux des maculatures machinées à double face. » Il est flanqué, à droite, d’un couloir fortifié : « Étouffement des a, emploi presque exclusif des d en volute, embellissement des x, empâtement des boucles des f, g et z » ; et, à gauche, de cinq tranchées, dont une « souterraine » : « Tranchée de la petite échancrure dans le bas du document, tranchée du papier-pelure quadrillé, tranchée de rallongement des finales. » Deux plans de défense sont prévus. Contre l’ennemi de droite, si le document est pris sur l’auteur même, ou à son domicile, alléguer « le coup monté par un subordonné ou par un véritable espion ». Contre l’ennemi de gauche : « 1° se tenir coi dans l’espérance que l’assaillant, intimidé, à première vue, par les maculatures et les signes de l’écriture rapide, reculera devant les initiales ou le tour des doubles s ; 2° se réfugier dans l’arsenal de l’espion habituel ; 3° invoquer le coup ténébreusement monté[1]. »

Quiconque a visité des asiles d’aliénés a vu cent dessins du même genre.

L’historien éprouve moins de honte à raconter certains crimes que de telles folies. Discuter, exposer seulement — ce qui suffirait — le système de Bertillon, c’est une humiliation. Quoi ! tant de pages sur une pareille élucubration. Il le faut pourtant, puisque cette insanité parut merveilleuse à Du Paty, que D’Ormescheville l’a faite sienne dans son rapport, que Mercier célébra cette démonstration « si curieuse », ces comparaisons d’écriture « si intéressantes et si concluantes ». C’est l’un des éléments principaux de la certitude chez

  1. Toutes ces indications sont reproduites, textuellement, d’après le diagramme qui a été publié, en fac-similé, au tome II du procès Zola.