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L’INSTRUCTION


frappé de sa mémoire, de son intelligence : « Il aimait à faire parade de ses connaissances, prenait beaucoup de notes. En consultant chacun, individuellement, il devait arriver à connaître des questions entières. » D’ailleurs, peu recherché de ses camarades, fier de sa fortune et de sa facilité de travail. Le capitaine Roy « a entendu dire qu’il était très intelligent, mais il lui a paru suffisant »[1].

Dreyfus, à l’occasion d’un incident ébruité par la presse, a causé un jour d’affaires d’espionnage, de documents périmés qu’on laisse traîner exprès et que des garçons de bureau vendent à des agents étrangers[2].

Le juge demande au capitaine Roy s’il a connaissance de ce système d’amorçage. « Est-il vrai qu’on fabrique à l’État-Major des documents faux, mais vraisemblables, destinés à induire les étrangers en erreur ? » Roy répond : « Depuis huit ans que je suis à l’État-Major, je n’ai jamais entendu parler de travaux de cette nature[3]. »

Or, l’histoire était courante au ministère, et le contre-

  1. Dépositions des 16, 17 et 28 novembre.
  2. Cass., II, 56, Chaton. Il s’agissait d’une affaire (l’affaire Borrupt), dont les journaux s’étaient occupés : la lettre d’un officier étranger, déchirée et jetée au panier, avait été prise par un garçon de bureau dans une ambassade étrangère ; « les morceaux en avaient été raccordés » à l’État Major. Dreyfus avait dit que l’espionnage se faisait surtout par des garçons de bureau, qu’il y en avait au ministère de la Guerre, comme ailleurs, qui étaient connus, et qu’au jour de la mobilisation, ils seraient arrêtés. On les reconnaissait en leur tendant des pièges, par exemple en laissant traîner des pièces périmées qui disparaissaient ensuite. Récemment, un plan périmé avait disparu ; Chaton croyait se souvenir qu’il s’agissait d’un plan de concentration. « Si ce document a été envoyé à une puissance étrangère, elle a été induite en erreur. » Chaton reconnut, à l’audience, qu’il avait commencé l’entretien sur ce sujet.
  3. Cass., II, 73, Roy.