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MERCIER


Le « flair d’artilleur » de Mercier était une formule de la même espèce. La Chambre partit d’un violent accès de rire. Le mot resta, s’attacha à Mercier, sobriquet désormais inséparable du ministre de la Guerre, dans les propos de couloirs et dans les polémiques de la presse.

Plus tard, à une heure où, pour tout autre, l’aveu d’une erreur à peine ébauchée eût été un facile et joyeux devoir, l’agaçant surnom pèsera sur l’âme déjà assombrie de Mercier. Quoi ! son « flair d’artilleur » se serait encore une fois trompé ? Il aurait soupçonné à tort un innocent ! Que l’innocent périsse plutôt ! Prenez le juif et qu’il ne soit plus question du « flair d’artilleur » !

Dupuy ne sauva Mercier qu’en le lâchant. Il promit « qu’il ne serait plus possible » d’écarter, sans examen, les inventions susceptibles de concourir à la défense nationale, accepta un ordre du jour qui l’affirmait.

Comme cet ordre du jour impliquait la confiance dans le gouvernement, l’extrême gauche, socialiste ou boulangiste, vota contre[1].

IV

Mercier sortit très diminué de cette séance. Il chercha une revanche. Il la trouva, cinq jours après, dans une interpellation de Paschal Grousset.

Le Figaro, poursuivant une enquête sur le désarmement, avait publié des propos d’un général d’armée qui avaient excité une vive émotion. Le ton en était amer, les pronostics inquiétants : l’armée n’était plus qu’une gendarmerie, impropre à la guerre, bonne seulement

  1. 31 mai 1894.