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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


il a reçu, la veille, confirmation « de ce crime inouï ».

L’informateur de la Libre Parole lui avait adressé une nouvelle note plus précise que la première : « L’officier, arrêté pour trahison, appartient à l’État-Major. Mais l’affaire sera étouffée parce que cet officier est juif. Cherchez parmi les Dreyfus, les Mayer, les Lévy. » Le traître, « arrêté depuis quinze jours, a fait des aveux complets ; on a la preuve absolue qu’il a vendu nos secrets à l’Allemagne. Il est au Cherche-Midi, mais pas sous son nom ; on veut le faire réfugier à Mulhouse, où réside sa famille ».

Papillaud n’avait pas eu besoin de chercher parmi les Mayer et les Lévy, puisqu’il savait d’Henry, depuis quatre jours, le nom de Dreyfus. Il racontait, mais sans en donner la date, sa visite au domicile du capitaine. La veille, dans la soirée, il avait vu un député, ancien boulangiste, antisémite notoire, Gauthier (de Clagny), qui lui avait dit : « Il ne sera pas possible, d’après le Code et les lois, de condamner à mort un tel misérable. Nous avons pourtant une consolation. C’est que ce n’est pas un vrai Français qui a commis ce crime. »

Ainsi, dès le premier jour, à la première rumeur, la politique des guerres religieuses, le fanatisme, factice ou sincère, s’emparent de l’affaire, et, sur leur drapeau, inscrivent la formule des jésuites : « Un juif n’est pas un Français. »

D’autres journaux encore, informés par Henry ou par les rédacteurs de la Libre Parole, qui colportaient la bonne nouvelle, nommèrent ou désignèrent Dreyfus ; ils mettaient l’Allemagne en cause, menaçaient Mercier pour avoir parlé d’arrestation provisoire, quand le traître avait avoué[1].

  1. Le Journal et le Matin nommaient Dreyfus. Le Figaro savait le nom, mais se refusait à le dire, « l’accusation n’étant