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LA « LIBRE PAROLE »


capitaine Dreyfus obtint d’être employé comme stagiaire à l’État-Major de l’armée. » Dreyfus n’avait eu à solliciter aucune faveur. Aux termes de la loi, selon le jeu naturel, mécanique, de l’École de guerre, les douze premiers sortants sont employés, dans des fonctions de leurs grades, pendant deux ans, à l’État-Major général. Mais l’arrestation de Dreyfus sera à peine connue que Drumont écrira : « Le vrai coquin, ce n’est pas Dreyfus, c’est ce ministre politicien, familiarisé avec toutes les bassesses (Freycinet), qui, pour complaire à Reinach, installa ce juif dans un bureau, où viennent aboutir les renseignements les plus confidentiels[1]. » Or, je ne connaissais pas Dreyfus, même de vue, et je ne l’avais recommandé ni à Freycinet ni à Miribel.

Du Paty achève ainsi le portrait du prisonnier :

« L’année 1894 arrive. Le capitaine Dreyfus fait la connaissance d’une femme mariée ; — on échange, à l’insu de Mme Dreyfus, une correspondance dont la dernière lettre se termine par ces mots : « À la vie et à la mort ! » Jusqu’où a été cette liaison ? Le capitaine Dreyfus déclare que, s’étant aperçu qu’on en voulait plus à sa bourse qu’à son cœur, il a rompu. A-t-il tout dit ? La bourse a-t-elle résisté aussi bien que, d’après lui, le cœur ? En tout cas, il avoue des liaisons intimes passagères, mais sans préciser, sans citer un nom. Dans un ménage ordonné comme celui de Dreyfus, un trou au budget ne saurait passer inaperçu. Si ce trou a existé à un moment, soit par le jeu, soit par les femmes, comment le boucher ? On a pu se confier à une amie. Il s’en trouve une, ignorée également de la femme légitime. C’est une étrangère : le capitaine Dreyfus la déclare suspecte. Il a même dit qu’elle recevait des espions, mais il a rétracté bien vite cette parole. »

  1. Libre Parole du 6 novembre 1894 : « les Juifs dans l’armée. »