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L’ENQUÊTE


déjà les premiers rapports de Guénée, mais si bas, si évidemment mensongers, en telle contradiction avec la vie si certainement ordonnée et régulière de Dreyfus, qu’on n’osait pas s’en servir. Dans sa cellule, l’homme s’obstinait à protester de son innocence, à garder sa raison, à vivre.

Cet insuccès manifeste de l’enquête avait, à la fois, refroidi l’ardeur des ennemis de Dreyfus et excité la verve des amis de Du Paty. Il y a toujours, dans les déboires d’un camarade, quelque chose qui fait plaisir. Sandherr lui-même n’avait point encore fait sienne cette affaire où son service avait été trouvé en défaut.

Et les grands chefs surtout sont inquiétants : Saussier, qui a tout blâmé de l’affaire ; Boisdeffre, qui semble s’en désintéresser, avec sa nonchalance accoutumée, point fâché d’en laisser tout le poids à Mercier qui en a voulu toute la gloire.

Et Mercier, encore inaccoutumé au crime, n’y ayant pas encore d’avantages, commence à douter de l’entreprise.

Les Chambres étaient rentrées en session[1] ; l’heure approche où Mercier aura à rendre ses comptes. Depuis un mois qu’il avait été effectué, le renvoi anticipé d’une portion du contingent avait laissé des régiments entiers à l’état de squelettes ; les exercices étaient dérisoires ou impossibles, ici avec un officier par dix hommes, là avec un cavalier par dix chevaux. La désorganisation était générale. Toute la presse la dénonçait ; la commission de l’armée fourbissait son interpellation. C’était le bruit public que des généraux étaient allés demander à Casimir-Perier le renvoi de Mercier, que plusieurs ministres songeaient à le débarquer. À la

  1. 23 octobre.