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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


de son écriture avec celle du document accusateur, ce n’était pas la vérité. À cette date[1], le ministre de la Guerre n’était encore saisi que des deux notes de Bertillon et de Gobert, l’une négative, l’autre qui admettait, à la décharge de Dreyfus, « l’hypothèse d’un document forgé avec le plus grand soin ».

C’avait été assez pour couvrir d’une apparence juridique l’arrestation déjà décidée ; ce serait insuffisant pour faire signer au gouverneur de Paris l’ordre de mise en jugement.

On songea tout de suite à obtenir de Bertillon un rapport qui justifiât davantage les poursuites. Lors de sa première expertise, il avait paru empressé, désireux de jouer un rôle, jaloux de Gobert.

Quand il avait fourni sa note, il ne savait pas quel était l’officier soupçonné[2]. Dès le 15, Henry et Du Paty lui nommèrent Dreyfus, affirmèrent qu’il était coupable.

Bertillon était antisémite, et des plus enflammés. Et comment douter de la parole de ces soldats ?

Pourtant, s’il ne peut s’affranchir de cette influence écrasante, peut-il, en conscience, procéder à une nouvelle expertise ? Mission délicate et grave, en tous les cas, puisqu’il en peut résulter des charges nouvelles contre l’accusé ; plus grave et plus délicate encore pour Bertillon qui n’est point expert ; ne procédant qu’à titre administratif, il ne prête pas serment. Tout ce qu’il n’a point observé par lui-même, il le doit ignorer, chasser de son esprit.

Mais il n’est qu’un homme entre les hommes, vaniteux, ambitieux et sans scrupules.

  1. 18 octobre.
  2. Cass., I, 483, Bertillon : « Je ne l’ai su que le surlendemain, le jour de l’arrestation de Dreyfus. »