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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Henry fit donc charger Guénée de recueillir des informations sur Dreyfus et lui donna lui-même, directement, la consigne[1]. Guénée ne devait faire des recherches que dans le monde de la galanterie et dans les cercles.

La découverte du bordereau confirmait les avis de l’Espagnol. S’adresser à lui était indiqué. On n’en fit rien, sous prétexte que Val-Carlos était absent de Paris[2]. À supposer le fait exact, il eût été facile de rechercher le diplomate, — il avait des parents français, à Paris même, — de l’amener à compléter ses informations. Henry ne commet point de ces sottises. L’Espagnol aurait su tout de suite, de Schwarzkoppen, que Dreyfus lui était inconnu. Même, à faire causer les attachés militaires, il eût pu apprendre un autre nom. Il était notoire, en effet, parmi eux, « que, pour un ou deux billets de mille francs, le commandant Esterhazy procurait les renseignements qu’on ne pouvait avoir directement du ministère de la Guerre[3] ».

  1. Guénée place le début de son enquête au mois de novembre, « après qu’il eut appris un matin, chez lui, en lisant le journal, l’arrestation de Dreyfus », c’est-à-dire le 1er  novembre (Cass., I, 722). Mais Cordier (Cass., I, 299 dit formellement que les renseignements sur l’existence de Dreyfus « furent recueillis pendant la première période de l’enquête de l’officier de police judiciaire », c’est-à-dire de Du Paty, « qu’ils semblaient très défavorables. Il était question de femmes, de tripots, etc. Le maximum de charges de ce genre a coïncidé avec la remise du rapport de l’officier de police judiciaire au ministre de la Guerre » Même déposition à Rennes (II, 512 et 513). — Si Guénée n’avait commencé son enquête que le 2 novembre, après la divulgation de l’affaire, il en résulterait que son premier rapport, du 4, aurait été établi avec quelque précipitation.
  2. Cass., I, 728, Guénée.
  3. Cass., I, 217, Galliffet : « Le général Talbot, revenant d’Égypte et traversant Paris, est venu me voir et m’a dit… » La déposition du général de Galliffet ayant été publiée, le général Talbot la confirma aussitôt dans une lettre