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L’ENQUÊTE


sible : l’une des deux grandes passions de l’humanité, le jeu ou les femmes. C’était la pensée de Du Paty. Il avait cherché fiévreusement une preuve de son hypothèse dans les papiers de Dreyfus ; ses fouilles avaient été infructueuses. On pouvait supposer toutefois que Dreyfus, libertin ou joueur, ne tenait pas la comptabilité de ses vices. Dès lors, une enquête s’imposait.

Il eût été simple de s’adresser à la préfecture de police, déjà instruite de l’affaire. Sandherr préféra employer « les moyens propres à la section de statistique »[1]. Henry les fournit dans la personne de Guénée, son âme damnée.

C’était le type du bas policier, colporteur de commérages, y ajoutant quand il le fallait, au besoin faussaire, habile à imiter les écritures et se faisant gloire d’avoir instruit son fils dans cet art. Il avait eu, au début, pour mission spéciale de se renseigner, chez les filles, sur les officiers, étrangers ou français, qu’elles recevaient. Il hantait « les grands bars, les grands hôtels, les villes d’eaux », et croyait fréquenter ainsi « la haute société »[2]. Les propos ramassés dans ces lieux de plaisir et dans les tripots, non pas même ceux des femmes galantes et des joueurs, mais ceux de leur domesticité et des concierges, constituaient le gros de ses renseignements. Il avait cependant une relation d’un ordre social plus élevé ; c’était cet ancien attaché militaire d’Espagne, le marquis de Val-Carlos, qui l’avait fait monter un jour dans son coupé, et lui avait révélé la présence d’un espion à l’État-Major. Cet espion « communiquait, soit directement, soit indirectement, avec Schwarzkoppen ». Val-Carlos avait, le mois suivant, renouvelé l’avis.

  1. Rennes, II, 512, Cordier.
  2. Cass., I, 720, Guénée.