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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


fougue accoutumée, sa puissance extraordinaire d’évocation, sa sincérité toujours égale à elle-même, soit qu’il plonge dans l’erreur, soit qu’il s’élance vers la vérité, la magnificence de sa rhétorique, et toutes ses images si belles qu’il les prend pour des raisons.

Casimir-Perier, jusqu’alors, avait été gâté par la fortune. Bien qu’il eût occupé depuis longtemps les plus hautes fonctions, il avait été indemne des attaques ordinaires de la presse. Il n’y était pas cuirassé. Il en souffrit, comme un enfant de la première injustice de la vie. Il sentait le discrédit monter autour de lui, avec la haine, chez le peuple : en quoi les avait-il mérités ? Ainsi, sa présence à l’Élysée, — c’était toute sa magistrature ! — desservait la République. Un pharmacien socialiste l’avait remplacé dans la circonscription qu’il avait représentée pendant vingt ans. Il avait vu dans cette élection, due à des causes locales, un échec personnel. L’hostilité de quelques-uns de ses ministres était réelle ; il se l’exagérait. Il se plaignait de n’être pas défendu. Quand Dupuy poursuivait le Chambard et la Petite République, il se plaignait de l’être mal[1]. Que serait-ce, quand le jeu des institutions parlementaires amènerait les radicaux au pouvoir ? L’ami qui était le plus près de son cœur, celui dont il eût voulu faire son premier ministre, Burdeau, se mourait. Il se sentait seul, sans force pour le bien, impuissant contre le mal. Dès son retour de Pont-sur-Seine à Paris, il

  1. Poursuites contre Albert Goullé (22 août 1894) pour un article de la Petite République intitulé Chaise percée. La cour d’assises de la Seine condamna Goullé à deux mois de prison (22 septembre). — Poursuites contre le Chambard (20 septembre) pour un article de Gérault-Richard intitulé À bas Casimir ! Jaurès défendit Gérault-Richard devant le jury qui rapporta un verdict de culpabilité sans circonstances atténuantes. (5 novembre.) Gérault-Richard fut condamné à un an de prison.