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L’ARRESTATION


résolue dans le conciliabule de la veille que, le matin même, à la première heure, D’Aboville était allé au Cherche-Midi pour y choisir la cellule du prisonnier. Avant de remettre le pli ministériel à Forzinetti, D’Aboville lui fait donner sa parole d’honneur d’exécuter les prescriptions qu’il y trouvera et celles qui lui seront données de vive voix. Précaution bizarre et peu militaire ! L’ordre portait que Dreyfus, accusé de haute trahison, serait mis au secret le plus absolu. Il ne devait avoir, par devers lui, ni papier, ni encre, ni plume, ni livres, ni instruments piquants ou tranchants. Il ne devait pas se raser ni être rasé. Défense de parler à qui que ce soit de ce prisonnier d’État. Défense d’informer le gouverneur de Paris.

Il ne manquait qu’une prescription : celle de mettre à Dreyfus un masque de fer.

D’Aboville, ayant désigné la cellule qui lui parut la plus sûre, enjoignit encore à Forzinetti de se tenir en défiance contre les démarches de la « haute juiverie »[1].

Pour D’Aboville, les juifs sont une vaste confrérie. Mais comment Israël connaîtra-t-il l’arrestation de Dreyfus, puisque Saussier lui-même la doit ignorer ?

Le noble officier confia encore à Forzinetti l’épreuve de la dictée que Dreyfus allait subir et par quelle ruse le misérable avait été attiré au ministère de la Guerre. Ce procédé parut honteux au vieux soldat. Il se souvint que Chanzy, jadis, en Algérie, ayant reçu l’ordre d’arrêter l’assassin Doineau sous un faux prétexte, s’y était refusé comme à un acte « indigne d’un officier »[2].

  1. Rennes, III, 103, Forzinetti.
  2. Le général de Beaufort avait demandé seulement au commandant Chanzy d’amener Doineau au procureur impérial, « sans lui parler d’arrestation, pour éviter le scandale ». Chanzy dépose qu’il répondit : « Il m’est impossible d’accepter cette