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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


duisait des effets scéniques », à l’autre « qu’il jouait une comédie et, tout en parlant, qu’il se regardait complaisamment dans une glace[1] ».

Il ne pouvait être plus innocent qu’il ne l’était ; mais il eût été, en outre, Talma lui-même que pleurs, cris et sanglots eussent été également inutiles. Tout se brisait, chez ces témoins, contre l’absolue certitude qu’il était le traître, que l’État-Major en avait des preuves irrécusables, que tout à l’heure encore, quand Du Paty l’en accusait, il avait vraiment tremblé. Cette foi dans ces cerveaux suggestionnés transformait tout. Sa douleur, quand elle éclate, c’est la fureur de la bête prise au piège. Quand il l’étouffe, c’est que le bandit reprend espoir. Ses serments, ses larmes : simulation ; la maîtrise qu’il reprend de lui-même : cynisme !

Se roidissant, fort de son innocence, confiant encore dans la justice des hommes, il regarde Du Paty bien en face et dit que « compensation lui sera faite pour cet affront ». Il est « victime d’une machination » qu’il saura dévoiler. « Déjà, à sa sortie de l’École de guerre, on a commis une infamie à son égard[2]. »

Dreyfus, en effet, avait appris, au cours de ces examens, qu’un incident, où il eût pu lire l’avenir, s’était produit à l’une des séances de la commission. Deux officiers juifs étaient sur les rangs ; le général Bonnefond leur avait donné, à tous deux, une note très basse, alléguant, devant la surprise de ses collègues, « qu’on ne voulait pas de juifs à l’État-Major ». Le général de Verdière, président de la commission, protesta

  1. Rennes, I, 584, Cochefert ; I, 587, Gribelin. — « Les gestes, contrôlés du coin de l’œil dans une glace ne produisirent pas une impression favorable sur les témoins de cette scène. » (Rapport de Du Paty.)
  2. Rapport de Du Paty.