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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


vif[1] ». Cependant, Gribelin l’a entendue[2], et Cochefert[3]. Même dépourvue du ton, qui en faisait le cinglement d’une cravache, elle dénonce l’intention perfide. Imaginez Dreyfus moins brisé au respect hiérarchique et demandant à Du Paty la raison de cette scène étrange, de son attitude hostile et de cette imputation imméritée ?

Tremblait-il quand Du Paty, roulant des yeux terribles, lui cria qu’il tremblait ? Gribelin a entendu le dialogue, mais « ne sait pas si Dreyfus tremblait ; il était trop loin pour voir[4] ». De même Cochefert[5]. Et Du Paty lui-même n’ose pas le dire, ni même qu’il l’en ait accusé.

Il donne jusqu’à trois versions du prétendu trouble de Dreyfus.

Dans son rapport du 31 octobre 1894, il écrit que Dreyfus lui répondit « avec une sorte de rictus nerveux ». Cette indication a disparu des versions ultérieures. Et qu’eût-ce été sinon la contraction physique, involontaire, où s’exprime la révolte intérieure du soldat, gratuitement offensé par un chef devant des témoins

  1. Encore Du Paty ne mentionne-t-il « ce ton un peu vif » que dans sa troisième déposition du 31 août 1900, au procès de Rennes. « Je crois utile de revenir sur l’incident de la dictée pour citer un fait que j’ai oublié hier. Quand j’ai dicté au capitaine Dreyfus la dixième ligne, je lui dis à haute voix, et sur un ton un peu vif, de faire attention et de mieux écrire, puisque la lettre était destinée à être soumise à la signature de M. le général de Boisdeffre. Cette observation était motivée par l’écriture irrégulière des dernières lignes qu’il venait d’écrire. » — Du Paty a compris le parti que la défense peut tirer de sa brutale interpellation : « Qu’avez-vous ?… » il la remplace par une remarque détaillée, et d’ailleurs absurde, qu’aucun des témoins n’a entendue. Au surplus, l’observation n’est plus motivée « que par l’écriture irrégulière ».
  2. Rennes, I, 596, Gribelin.
  3. Rennes, III, 520, Cochefert.
  4. Rennes, I, 596, Gribelin.
  5. Rennes, III, 529, Cochefert.