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LE BORDEREAU


n’avait pas d’autres présomptions et, quand même, ordonnait l’arrestation. Le Président de la République, les ministres, le généralissime seraient tous mis en présence du fait accompli.

Contre Saussier, Mercier prit encore une autre précaution. Il fit porter, à l’issue de la réunion, un pli officiel au commandant Forzinetti, directeur de la prison du Cherche-Midi, « l’informant que, le lendemain 15, un officier supérieur, attaché à l’État-Major général de l’armée, se présenterait pour lui faire une communication confidentielle[1] ». C’était l’annonce de la visite du lieutenant-colonel D’Aboville, chargé de préparer l’incarcération de Dreyfus dans le plus profond secret. D’Aboville reçut des instructions détaillées et l’ordre « d’enjoindre à Forzinetti de ne pas rendre compte au gouverneur de l’arrestation de Dreyfus »[2]. Violation formelle de la règle ; Mercier, lui-même, signa l’ordre.

Jamais acte de justice n’a été préparé de la sorte. C’est un crime qu’on machine ainsi. Et les procédés employés crient que la conscience de ces hommes est inquiète.

Dans les récits qu’ils en feront plus tard, après avoir prêté serment de dire toute la vérité. Mercier, si prolixe, Gonse, qui ne l’est pas moins, Boisdeffre, qui pèse ses mots, glissent sur ces préparatifs, ou les passent sous silence, ou les cachent sous des inexactitudes voulues. Ils ont tout osé ; mais ils n’osent plus avouer leur coup d’audace.

À cet endroit de leur récit, ils accumulent, pour faire croire qu’ils les avaient déjà réunies alors, toutes les prétendues preuves qu’ils ont rassemblées par la suite, qui ne sont pas les mêmes en 1898 qu’en 1894, en 1899 qu’en

  1. Cass., I, 317 ; Rennes, III, 103, Forzinetti.
  2. Ibid.