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HISTOIRE DE l’AFFAIRE DREYFUS

Ce rapport était très court. Gobert y constatait que l’écriture du bordereau et l’écriture incriminée présentent « le même type graphique » ; mais « l’analyse des détails montre, avec des analogies assez sérieuses, des dissimilitudes nombreuses et importantes, dont il convient de tenir compte ». L’écriture du document est « naturelle, normale, d’une grande rapidité » ; dès lors, « impossibilité d’un déguisement ». Il concluait :« La lettre anonyme pourrait être d’une personne autre que celle soupçonnée[1]. »

Gonse n’objecta rien, mais confia à Gobert que l’arrestation de l’officier soupçonné était décidée, quand même, pour le surlendemain, au matin, dès le retour de Mercier et de Boisdeffre, qui se rendraient le même jour à d’autres manœuvres[2].

Espérait-il que l’expert, déconcerté par cette confidence, reviendrait du coup sur ses conclusions ? Gonse est l’homme qui dira : « Quand un ministre m’a dit quelque chose, je le crois toujours. » Un pauvre diable d’expert devait bien croire, sur parole, un sous-chef d’État-Major !

Gobert ne broncha pas. Déjà le préfet de police avait été invité à demander d’urgence un autre rapport à Bertillon[3]. Et Du Paty se mit en campagne. Le premier

  1. Cass., II, 289. Le rapport est adressé au ministre.
  2. Rennes, II, 305. — Le fait est nié par Gonse (II, 316).
  3. Cass., I, 482 ; Rennes, II, 321, Bertillon : « Je fus mandé au cabinet du préfet de police, vers 9 heures du matin. » Mercier était à Limoges ; il dépose cependant : « C’était donc une opinion neutre (celle de Gobert), dont il n’y avait pas à tenir compte. J’ai demandé un autre expert au ministre de l’Intérieur ; il me désigna Bertillon. » (Rennes, I, 89.) Ainsi, Mercier a connu le rapport de Gobert avant qu’il fût déposé, s’est décidé, en conséquence, à demander un autre expert au ministre de l’Intérieur et a chargé Bertillon de ce second rapport, dès 9 heures du matin, pendant que Gobert conférait encore avec Gonse ; et, tout cela, du champ de manœuvres de Limoges !