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HISTOIRE DE l’AFFAIRE DREYFUS

Au cours de cette seconde visite[1], l’expert demanda à Gonse le nom de l’officier soupçonné : « Les coutumes de la justice civile, lui dit-il, ne permettent pas une vérification, une enquête, sous le voile de l’anonymat. » Si ses conclusions étaient accusatrices, il ne les déposerait que mis en mesure de nommer, dans son rapport, l’homme qu’il allait frapper. Si, au contraire, ses conclusions étaient négatives, il pouvait se dispenser de connaître le nom[2]. Gonse refusa de nommer l’officier[3]. Il n’était pas

    entièrement avec Gobert (Cass., I, 270 ; Rennes, II, 303). Donc, d’après Gonse comme d’après Gobert, Mercier altère la vérité quand il dépose (Rennes, I, 89) que l’expert, « deux jours après avoir reçu le bordereau et les pièces de comparaison, vint au ministère et demanda à savoir le nom de l’officier soupçonné » ; puis, que, « quelques jours après, on alla chez lui et qu’il prévint qu’il croyait savoir qui c’était, mais que son travail n’était pas encore fini ». — Mercier, puisqu’il était alors absent de Paris, a encore dénaturé les faits quand il a dit à la Cour de cassation : « Quand je fais réclamer son rapport à Gobert, il questionne, demande quel est l’auteur du bordereau. »

    De même Boisdeffre, qui avait accompagné Mercier à Limoges : « Le ministre craignit qu’avec ces indiscrétions et ces lenteurs (de Gobert) il fût possible au prévenu de faire disparaître toutes les preuves. Il s’adressa à M. Bertillon. » (Cass., I, 260.) « Le ministre s’étonne de l’attitude de Gobert et s’en émeut à bon droit. Il craint les conséquences de ce retard et les indiscrétions qui peuvent se produire. Il s’est décidé à demander un nouvel expert. » (Rennes, I, 519.)

    Ces longs retards que Mercier et Boisdeffre indiquent par ces mots, « deux jours après », « quelques jours après », — ce qui fait, au moins, une semaine, — tout cela se place, en réalité, entre le soir du 11 octobre et la matinée du 13, à 9 heures.

    Mercier (ou Henry) avait déjà donné, en 1894, cette chronologie mensongère à Bexon d’Ormescheville, qui l’allongea encore dans son acte d’accusation contre Dreyfus.

  1. Rennes, II, 316, Gobert. — Gonse (II, 315) prétend que l’incident se produisit au cours de sa première visite et qu’il serait revenu, dans l’après-midi, avec Lefort, pour avoir un témoin.
  2. Cass., I, 270 ; Rennes, I, 303, Gobert.
  3. Gonse prétend (Rennes, II, 315) avoir été, dès lors, impressionné fâcheusement et que Gobert voulut savoir, ce qui est