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LE BORDEREAU


retour. Il rendormait ainsi, pour quelques heures, dans l’espoir que, si la perquisition était stérile, on pourrait s’arrêter au bord du gouffre.

Or, Mercier avait décidé que la perquisition ne serait faite qu’après l’arrestation.

XVII

Pendant les deux jours[1] que dure l’absence de Mercier et de Boisdeffre, la conduite de l’opération appartient à Gonse, assisté de Du Paty. Mais Mercier a laissé des ordres précis pour brusquer l’expertise du bordereau[2].

Gobert avait à peine commencé son expertise que Gonse, dès le matin, arrivait chez lui, tant il avait hâte d’en connaître le résultat. Les instructions du ministre étaient de presser le travail ; Gonse pressait. Et il revint quelques heures après, avec le colonel Lefort[3].

  1. 12 et 13 octobre.
  2. Chose curieuse : Mercier, dans toutes ses dépositions, s’est tu sur son absence, raconte les incidents comme s’il était resté à Paris, surveillant l’expertise, se faisant rendre compte et intervenant de minute en minute. Comment expliquer ce mensonge de Mercier ? Sans doute, plutôt que d’avouer qu’il a outrepassé le mandat de ses collègues et, une heure après avoir promis de s’y conformer, violé sa parole, il préfère s’attribuer une intervention directe et personnelle dans des faits qu’il travestit à plaisir. Tout son récit n’est, d’ailleurs, qu’un long roman (Rennes, I, 88, 89). Il s’y efforce de faire croire que cette enquête bousculée, qui a duré trente-six heures, s’est poursuivie pendant plusieurs jours, assez longtemps pour que les juifs fussent avertis et achetassent, à prix d’or, la conscience de Gobert ; sur quoi, le ministre, patriote toujours en éveil, a bien été contraint de disqualifier Gobert et de faire expertiser le bordereau par Bertillon, qui n’était même pas expert.
  3. Sur la matérialité des faits, notamment sur ces deux visites dans la journée du 12, Gonse (Rennes, II, 315) est d’accord