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LE BORDEREAU


au ministère de la Guerre et envoie Sandherr, Henry et Du Paty à la préfecture de police, pour s’assurer, éventuellement, de son concours. Les trois officiers furent reçus par Cavard, chef du cabinet de Lépine, lui montrèrent le bordereau, les pièces de comparaison, et ajoutèrent que les preuves morales abondaient.

Mercier, quand il s’entretint avec Gobert, se borna à le mettre au courant de la situation ; « il ne parut pas avoir, à ce moment, une idée bien fixe, bien arrêtée », tout en attachant, comme de juste, une très grande importance à la mission qu’il lui confiait[1].

Le ministre envoya Gobert à Boisdeffre, qui lui tint à peu près les mêmes propos, mais parut « avoir une idée plus nettement accentuée » et une grande hâte d’aboutir[2]. Il était entouré, quand Gobert entra chez lui, d’un groupe de cinq ou six officiers qu’il fit retirer. Puis, Gonse étant survenu, l’expert le suivit dans le cabinet personnel du sous-chef d’État-Major qui lui remit le dossier préparé par Du Paty.

Les officiers, que Boisdeffre avait congédiés, entrèrent successivement chez Gonse, « comme dans un moulin[3] ». C’était Sandherr, auquel Gobert fut présenté, le colonel Fabre, le colonel Lefort, Henry[4]. « Cet aréopage » examinait les pièces, et c’était à qui

  1. Mercier dépose qu’il montra à Gobert le bordereau et les pièces de comparaison ; l’expert aurait dit aussitôt « que le doute n’était pas possible ». (Rennes, I, 88.) D’après Gobert (Cass., I, 269 ; Rennes, I, 299), le bordereau ne lui fut pas montré par Mercier, mais par Gonse. Comment ne pas observer que jamais expert, s’il a quelque conscience, ne prononce ainsi à première vue ? Le récit de Gobert paraît vraisemblable, exact ; il n’est nullement hostile à Mercier. L’hésitation qu’il lui attribue, si elle n’était pas feinte, serait honorable.
  2. Rennes, II, 300, Gobert.
  3. Ibid, 316.
  4. Gobert a cru se souvenir que D’Aboville en était (Rennes II, 316), mais D’Aboville le nie.
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