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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Ainsi Drumont, encore une fois, appuyait les chantages d’Esterhazy. Le désarroi des amis du traître était manifeste. Leurs injures, leurs menaces (« Si Du Paty est innocent, il faut envoyer ses dénonciateurs au bagne… ») tombaient à plat.

Nécessairement, je redoublai ; bien mieux, je provoquai Du Paty à me poursuivre devant la cour d’assises ; il en demanda l’autorisation à Cavaignac et, pour lui forcer la main, fit annoncer qu’il l’avait obtenue[1]. Je ripostai par le mot d’Henry : « Allons-y[2] ! » Cavaignac refusa, et le silence du misérable sous mes coups de cravache parut un aveu.

Les adversaires les plus implacables de la Revision se détournèrent eux-mêmes de lui, raccusèrent d’ajouter la couardise à l’extravagance et à la fourberie[3].

Il souffrit cruellement, brisé, humilié, dans l’abandon lâche de ses chefs et sous l’universel dégoût.

Bertulus, quand il reçut la plainte de Picquart contre Du Paty[4], crut tenir la victoire. Esterhazy respira. Fidèle à sa promesse, il ne s’était pas encore accroché à Du Paty. Picquart maintenant les attachait l’un à l’autre. « Ce fut, dit-il, Picquart qui, sans s’en douter, me sauva et tout le monde avec moi. » Moi aussi, par mes articles sur Du Paty, j’avais fait le jeu d’Henry et d’Esterhazy. Tout travaillait encore pour eux, l’audace et la peur, l’iniquité consciente et la justice qui marchait à tâtons.

  1. Gaulois du 7 août 1898.
  2. Siècle du 8.
  3. Cassagnac, notamment, avait sommé Du Paty de me poursuivre devant les assises : « Cet officier est l’objet d’imputations effrayantes. Et il se tait ! Il ne bouge pas, il ne fait pas de procès, il ne casse la figure à personne ! Pourquoi ? » (Autorité du 30 juillet 1898.) Et encore le lendemain.
  4. 25 juillet.