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CAVAIGNAC MINISTRE


faire apparaître quelque chose de la vérité qui se dérobait. Qui se reportera à cette histoire écrite, improvisée au jour le jour, n’y trouvera d’inexact qu’un nom, celui du conseiller d’Esterhazy. Je crus, moi aussi, que c’était Du Paty, parce que la légende en avait fait le principal auteur de la condamnation de Dreyfus, donc le principal intéressé au sauvetage du coupable, et, chaque matin, le Siècle répétait que c’était Du Paty qui avait trahi pour Esterhazy le secret des enquêtes, fabriqué avec lui les fausses dépêches, inventé le roman de la dame voilée, documenté Drumont. Pourtant, je soupçonnais déjà d’autres associés à Esterhazy et, sans nommer encore Henry, je le désignai : « Il est certain qu’à moins d’avoir crocheté la caisse secrète du ministère de la Guerre, Du Paty a reçu de quelqu’un, au bureau des Renseignements, le document libérateur[1]. »

Les journaux de l’État-Major feignirent d’abord d’ignorer mes articles ; mais les conspirations du silence les mieux ourdies n’ont jamais duré plus de trois jours ; finalement il fallut parler. Rochefort et son beau-frère plaidèrent que les fausses dépêches n’étaient que des plaisanteries ; Drumont, mieux informé, visa en haut, les grands chefs qui laissaient faire, sacrifiaient Esterhazy, Du Paty, demain Henry, aux vengeances des juifs : « Si Du Paty est réellement le faussaire, il faut l’arrêter, le frapper impitoyablement ainsi que ses complices, quels qu’ils soient[2]. »

  1. Siècle du 27 juillet 1898. Et encore : « Ou Du Paty a volé le document secret, ou il l’a reçu de quelqu’un… S’il l’a reçu de quelqu’un, il faut qu’on sache qui est ce quelqu’un. Le cercle du bureau des Renseignements est très étroit. » (4 août.)
  2. Jour et Intransigeant du 25, Libre Parole du 26 juillet 1898. — « M. Drumont serait-il, par hasard, informé que Du Paty a des complices autres qu’Esterhazy et la fille Pays, qu’il n’aurait pas agi de sa seule initiative ? » (Siècle du 27.)