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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


tulus maintenant le connaissait à fond, était certain qu’il était l’auteur du bordereau, le traître. Tézenas retourna au ministère de la Guerre où Roget le reçut, mais pour lui dire qu’il ne craignait plus rien d’Esterhazy : « Nous lui avons rogné les ongles[1] ». Et Christian avait enfin déposé entre les mains du juge une plainte en escroquerie contre son cousin[2].

Ainsi, malgré tant d’obstacles accumulés, Bertulus restait fort ; par malheur, il voulut se fortifier encore et, comme cela arrive souvent, il s’affaiblit. Il fit conseiller à Picquart de porter une plainte en faux contre Du Paty, en tant que complice de Marguerite Pays et d’Esterhazy.

Les revisionnistes contribuèrent à cette erreur. C’était l’évidence, depuis le début de l’affaire, qu’Esterhazy avait eu à l’État-Major au moins un protecteur qui l’avait guidé et instruit, et que le mot de l’énigme était dans cette ténébreuse association. Scheurer d’abord, puis Zola, Picquart et Trarieux avaient révélé ou découvert des preuves certaines de cette intrigue ; j’essayai à mon tour de la démêler et j’en esquissai le récit dans une série d’articles[3], rattachant les faits de 1897 à ceux de 1894, et malgré l’ignorance où j’étais de l’entrevue de Montsouris et de tant d’autres incidents, ramassant et reconstituant assez de certitudes, à travers les monceaux de mensonges qui avaient été accumulés, pour

  1. Dessous de l’Affaire, 32.
  2. 21 juillet 1898. — Feuilloley « estima qu’il y avait lieu de procéder tout d’abord à une instruction préliminaire ». Christian étant reparti pour Beautiran, le Parque en profita pour tirer l’affaire en longueur. — Le Siècle (du 1er  août) publia quelque-unes des lettres d’Esterhazy à Christian ; toute l’escroquerie y apparaissait. Le Gaulois concéda que, « dans les négociations d’argent, le commandant ne se serait peut-être pas montré d’une très fine délicatesse ».
  3. Les faussaires, dans le Siècle des 21, 22, 23 juillet, etc.