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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

C’était, depuis quatre ans, l’habitude d’Henry, qui le dispensait d’imagination, d’attribuer à Dreyfus les crimes d’Esterhazy, à Picquart et à Du Paty ses propres faux, mensonges et fourberies. Redevenu maître de lui[1], il transposa pareillement les rôles dans le récit qu’il fit à Gonse et à Roget de son entrevue avec Bertulus : c’était le juge qui avait fondu en larmes, l’avait embrassé en disant qu’il perdrait à l’aventure sa robe rouge et avait protesté, en sanglotant, de son amour pour l’armée. Bertulus lui a dit qu’en arrêtant Esterhazy, il n’a fait que jeter un cri d’alarme qu’on n’a pas compris ; il a espéré que le Gouvernement interviendrait et se désole de n’avoir encore vu personne. Henry attesta que le magistrat était de « bonne foi » ; Roget ferait bien de se rendre à son appel, de lui expliquer le cas de Du Paty[2].

  1. Cass., I, 573 et II, 24, Gonse : « Henry avait l’air très calme et même très gai. » De même à Rennes (I, 557). — Cass., I. 626, Roget : « M. Bertulus insinue que c’est moi qui aurais remonté le moral d’Henry. Je méprise cette insinuation ; le moral d’Henry n’a jamais été atteint. » — Bertulus avait dit simplement : « Quand je revis Henry, il était changé du tout au tout. » — Et encore : « Henry rentre au ministère parfaitement calme ; il n’est nullement ému de ce qu’il a vu ou appris ; il est tout à fait dans son état habituel. » (I, 635.) « Il était aussi calme que je le suis en ce moment. » (II, 23).
  2. Cass., I, 573 ; II, 24, Gonse ; I, 624, 635 ; Rennes, I,270, Roget ; note (au crayon) d’Henry, datée du 21 juillet 1898, sur son entrevue avec Bertulus. (Dossier militaire et dossier de la Cour de cassation.) le récit de Roget reproduit fidèlement la note d’Henry. Celui de Gonse mêle la version d’Henry sur la scène du 18 juillet à la version d’Henry et de Junck sur l’entrevue du 26 juillet (Voir p. 83.) Gonse lui-même fournit la preuve de cette confusion ; il raconte qu’Henry, le 18 juillet, vint le trouver au ministère et, le 21, avec Junck, chez les frères Saint-Jean-de-Dieu où il était en traitement. (Rennes, I, 648, Junck ; 656, Bertulus ; 658, Gonse.) — Bertulus, à Rennes (I, 354), fait observer que la note d’Henry sur la scène du 18 juillet est datée du 21 : « Il s’était donc passé quelque chose d’intéressant, de grave, dans mon cabinet, pour que vous ayez