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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Cette fois, pour la première fois, le colosse croula.

Bertulus, à son étonnement, le vit s’effondrer dans un fauteuil, d’abord muet devant une pareille hypothèse qui aurait dû faire bondir un soldat, « anéanti », puis, tout à coup, se mettre à pleurer à chaudes larmes, se lever, l’enlacer, lui prendre la tête, l’embrassera pleine bouche et crier à travers ses sanglots : Sauvez-nous ! Sauvez-nous ! »

Le juge, étonné d’une telle scène, le repousse, l’invite à se rasseoir.

Un long silence. Brusquement, ce cri d’Henry : « Esterhazy est un bandit ! » Bertulus pensa que c’était le moment ou jamais « de porter le coup droit » : « Esterhazy est l’auteur du bordereau ? » Mais « Henry ne dit ni oui ni non » : « N’insistez pas ! n’insistez pas ! Avant tout l’honneur de l’armée ! »

Il s’était de nouveau levé, la figure congestionnée, « suppliant dans toute la force du mot[1] ».

Le greffier, André, à son travail dans un cabinet voisin, entendit « cette voix hachée par les hoquets », ces cris désolés : « L’honneur de l’armée ! Il faut sauver l’honneur de l’armée[2] ! »

Bertulus n’alla pas plus loin, soit pitié pour ce géant qui pleurait comme un enfant, soit qu’il se flattât de confesser entièrement Henry, un autre jour, maintenant qu’il venait de prendre barre sur lui[3] et, surtout, parce qu’il se reprocha de l’avoir soupçonné trop

  1. Cass., I, 227 ; Rennes, I, 347, Bertulus : « Je le dis parce que c’est la vérité absolue et que je dois la vérité… Je vous le dis parce que c’est ainsi, je ne peux pas raconter les choses autrement. Dix fois, vingt fois, dans cinquante ans, je les raconterais de la même façon, tant qu’elles se sont passées ainsi. »
  2. Rennes, III, 318. André.
  3. Ibid., I, 228 ; II, 20, Bertulus.