Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1904, Tome 4.djvu/8

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
4
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


mais parce que le préjugé d’opinion qui précède le jugement) agissait sur lui, inconsciemment peut-être, comme une fonction s’accomplit, il demanda à ce lot d’informes papiers des preuves contre Dreyfus, et, par conséquent, les y trouva[1].

Ce qui paraîtra extraordinaire, — mais rien de plus commun que cette contradiction, — c’est qu’il apporta à cette étude, viciée d’avance par l’idée a priori, des scrupules et tout le souci du détail où il faisait consister la méthode scientifique. Il ne lui suffit pas de se faire rendre compte de l’organisation exacte du service d’espionnage ; il voulut encore comparer entre eux les divers documents attribués à Schwarzkoppen et à Panizzardi, et en étudier le graphisme ; bien plus, il discuta certaines pièces, hésitant, avec ce qui lui restait de sens, à appliquer à Dreyfus celle où il était question de ce canaille de D[2], perplexe devant le plus fameux des faux d’Henry, frôlant la vérité. L’incroyable niaiserie de la lettre (la recommandation de Panizzardi à Schwarzkoppen de mentir à leurs gouvernements respectifs) lui échappa ; il s’étonna seulement du barbare jargon qu’Esterhazy qualifiait d’auvergnat, consulta son beau-père, le général Mojon, d’origine italienne, lui posa cette question judicieuse : « Cela est-il pensé en italien ? » La réponse fut négative. Cependant, il passa outre, parce que Gonse lui expliqua que la lettre s’encadrait logiquement entre plusieurs autres des attachés

  1. Lors de son premier passage au ministère de la Guerre, en 1896, il avait eu, parmi ses officiers d’ordonnance, le commandant Gallet, l’un des juges de Dreyfus, et le commandant Brochin. Ayant su, en 1898, qu’ils étaient tourmentés de doutes au sujet de Dreyfus, il se garda de les rappeler à son cabinet.
  2. Chambre des députés, discours du 7 juillet 1898 ; Cass., I, 35 ; Rennes, I, 203, Cavaignac.