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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


que la loi ne lui permettait pas de donner immédiatement satisfaction au ministre ; les scellés ne pouvaient être ouverts et dépouillés qu’en présence d’Esterhazy et de la fille Pays, et de leurs avocats. On convint de la date du 21 juillet. Cependant, dès aujourd’hui, Bertulus pouvait faire voir à Henry les scellés « ouverts » (c’est-à-dire les pièces qui ne sont attachées qu’avec une ficelle cachetée) ; et, tout de suite, il lui montra les plus graves, le plan de campagne tracé par Esterhazy pour le procès de Zola, avec l’invite à Boisdeffre de faire renverser le ministère et de menacer de sa démission ; la lettre anglaise ; la note « Bâle-Cuers ».

Henry ne fut pas maître de son émotion. Il avait les nerfs abîmés par tant de vertiges qu’il avait surmontés, de chutes auxquelles il n’avait échappé que par miracle. Bertulus s’aperçut de son trouble et en profita : « Jamais vous ne me ferez croire qu’Esterhazy ait pu connaître, par ses moyens propres, l’histoire de Cuers et de l’entrevue de Bâle. Qui donc a pu la lui dire sinon vous ou quelqu’un autour de vous ? » Et il résumait à grands traits tout ce qu’il savait de la collusion, les charges qui s’entassaient sur Esterhazy et sur Du Paty. Henry, de plus en plus angoissé, se sentant découvert, livra les camarades ; il balbutia que les auteurs des faux télégramme étaient, en effet, Du Paty et Esterhazy[1]. Mais Bertulus, qui sentait le prix du moment, l’ascendant, la puissance inespérée qu’il avait pris sur cet homme, ne s’en tint pas là, et le pressa d’autant plus de questions et de preuves. Maintenant, Henry ne discutait plus, suppliait seulement le juge de l’aider à sauver l’honneur de l’armée, de ne rien faire avant d’avoir vu le général Roget qu’il préviendrait, qui n’hésiterait

  1. Cass., I, 227 ; II, 20 ; Rennes, I, 345, Bertulus.