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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS



tait[1] ». Il décida alors de le sacrifier, et il l’eût frappé tout de suite si ce n’eût été, du coup, le dénoncer, dans un énorme scandale, à Bertulus qui, depuis six mois, avait l’œil sur lui, l’accusait, sur la foi de Picquart, d’être un faussaire, et l’aurait englobé, dans la même inculpation ignominieuse, avec Esterhazy et la fille Pays[2]. Quelle magnifique proie pour les juifs !

Son devoir étroit eût été de porter d’aussi graves incidents à la connaissance de Brisson ; mais il n’en fit rien, tout comme Billot n’avait rien dit à Méline que contraint et forcé ; les choses de l’armée ne regardent que lui ; cette sale lessive, il la fera, à son heure, entre militaires. Au surplus, Brisson lui aurait peut-être demandé, si Esterhazy n’était pas coupable, ce que Du Paty était venu faire auprès de lui. Il eût fallu expliquer des choses bizarres : que l’innocence d’Esterhazy résultait exclusivement pour l’État-Major de la certitude qu’on avait du crime de Dreyfus ; qu’Esterhazy, tout innocent qu’il fût, était un gredin ; et qu’en conséquence « on avait pu très bien se dire que cet individu allait perdre la tête et qu’il serait utile de venir à son secours[3] ». Tout

    nous : « Je vous assure que ce Du Paty paraît sincère. » — Instr. Tavernier, 13 juillet 1899, Du Paty : « Je constate que, malgré tous ses efforts, M. Cavaignac n’a pu trouver dans tous nos entretiens un seul propos sciemment inexact de ma part. »

  1. Cass., I, 629, Roget.
  2. Ibid., : « Cavaignac n’avait pas cru devoir prendre de décision à l’égard de Du Paty, parce que cet officier était à ce moment, sous le coup de poursuites devant la juridiction civile. » — Il s’agit de la plainte de Picquart contre Du Paty. (Voir p. 88). — De même à Rennes (I, 321). — À l’instruction Tavernier (12 juillet 1899), Cavaignac convient qu’il avait décidé de frapper Du Paty par un moyen détourné ce qui est relevé, le lendemain, par Du Paty qui ajoute : « On voulait se débarrasser d’un instrument devenu gênant. »
  3. Ce fut à Rennes, l’explication de Roget (I, 325). — De même Du Paty (Cass., II, 192) et Gribelin (I, 436). — C’était la version d’Henry (I, 347, Cuignet).