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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


l’armée[1] ! » hésitait à porter la main sur les deux députés à cause de l’inviolabilité parlementaire, Roget lui expliqua qu’elle cessait devant le flagrant délit. Florentin, s’avançant alors vers eux, les invita une dernière fois à se retirer ; mais ils s’y refusèrent à nouveau, surtout Déroulède, dont l’excitation lui parut factice et qui, « se complaisant dans l’importance de son rôle », s’accusait à plaisir d’attentat et d’embauchage : « Je voulais sauver mon pays ! Le coup est manqué[2] ! » Le général lui annonça en conséquence qu’il allait le mettre en état d’arrestation et le fit conduire aussitôt, avec Habert, par des hommes de garde, à la salle d’honneur[3]. Les hommes, bien qu’un peu intimidés, firent leur devoir. Déroulède se plaça de lui-même au milieu des soldats[4], comme on fait à l’Ambigu, et leur adressa un dernier discours[5]. Puis, dès qu’il fut seul avec Habert, ils brûlèrent dans le poêle de la salle un tas de papiers, les proclamations dont ils étaient porteurs et des listes de noms et d’adresses. Il y en avait beaucoup ; les cendres débordèrent sur le parquet. Déroulède, à l’en croire, était sûr d’avance que « ses camarades de l’armée ne le fouilleraient pas » et résolu, ce qui paraît contradictoire, « à confier à l’un d’eux, au hasard, s’il

  1. Instr. Pasques, 62, Florentin : « La mauvaise allure des cris qui éclatèrent sur mon passage me fit dire à mon officier d’ordonnance : « Ça se gâte ! »
  2. Ibid., 62, Florentin.
  3. Ibid., 14, Roget ; 62 Florentin. Le major Duruisseau (22) ajoute : « Le général Roget m’ordonna de veiller à ce que ces messieurs ne manquassent de rien pendant leur détention volontaire. »
  4. Ibid., 76, lieutenant Comès.
  5. Ibid., 14, Roget : « Déroulède leur parla, mais n’opposa aucune résistance. » « En arrivant dans la salle », il dit encore à Kerdrain « qu’il était heureux d’être arrêté par l’armée ». (17.)