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MORT DE FÉLIX FAURE


certain que le danger eût été sérieux. Loubet et les parlementaires eussent pu être, les uns enlevés, les autres assommés, dans une épouvantable bagarre. Par bonheur, les ligueurs bavardèrent, un grand industriel (Expert-Besançon) raconta au sénateur Poirrier que 1.500 cartes leur étaient réservées, et celui-ci demanda aussitôt des explications à Dupuy, menaçant de l’interpeller. Dupuy ne put faire autrement que de s’excuser et de protester qu’il avait, le matin même, retiré l’autorité et qu’il le ferait annoncer par une note. Il était déjà sous le coup d’une demande d’interpellation des gauches du Sénat au sujet du scandale qu’il avait laissé produire au retour de Loubet[1], et ce nouvel incident le mettrait en une posture plus mauvaise encore. D’autre part, il avait la conscience si peu nette, ou il éprouvait une telle crainte à l’idée de se brouiller avec Déroulède, qu’il le fit prier de venir, avec Habert, au ministère de l’Intérieur « pour discuter » du retrait de l’autorisation[2], apparemment pour en rejeter la responsabilité sur les revisionnistes. — Il lui aurait fait part, à cette occasion, du projet concerté avec Mazeau et Lebret d’exclure du cortège la Cour de cassation, sous prétexte d’éviter des fatigues inutiles à ces vieux magistrats, et se serait tu de la réponse des juges à cette insultante sollicitude[3]. — Mais Déroulède, qui n’avait pas de temps à perdre, déclina l’entretien, furieux, selon les

  1. L’idée d’une interpellation fut vivement appuyée par Waldeck-Rousseau. Dupuy, pour se tirer d’affaire, avait annoncé dans « une note officielle qu’il était décidé à réprimer toute manifestation qui serait de nature à troubler l’ordre public ». (20 février.) Les groupes ajournèrent leur décision.
  2. Instr. Pasques, 69, Déroulède : « Cette décision, encore provisoire le mercredi matin à 10 heures, me fut transmise en même temps que l’on m’annonçait que le président du Conseil nous attendait à 2 heures pour en discuter. »
  3. Temps, Matin, etc., du 23 février 1899.