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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


du Luxembourg, et nullement homme de combat. Mais ils le savaient homme de devoir et qui sauterait le pas, si on lui persuadait que c’était nécessaire à la République. Et, en effet, il était l’homme nécessaire, presque indispensable, non pas tant à cause de ses vertus de solide campagnard, — fils d’une vieille paysanne de la Drôme, de cette bonne race des Dauphinois que les Provençaux appellent les Franciaux[1] et qui, pour les Français du Nord, commencent déjà le midi, — et de ses fines qualités de politique, bourgeois seulement d’hier, avocat avisé, rompu aux petites affaires municipales qui préparent si bien aux plus grandes, resté très provincial, malgré le quart de siècle qu’il avait passé à Paris comme député et comme sénateur, deux fois au pouvoir, plein de sens, indulgent aux hommes par bonté naturelle et par système, vigoureux et délié comme les montagnards, républicain à vingt-quatre carats, ami de Gambetta et de Ferry, mais qui ne s’était jamais fâché avec leurs ennemis, très peuple, avec de la grâce et, même, de la malice dans l’esprit ; mais parce qu’il joignait à tous ces avantages celui de n’avoir pas été mêlé aux récentes querelles des partis et qu’au poste qu’il occupait depuis plusieurs années, où il avait été moins élevé qu’il n’y était monté degré par degré, il incarnait ce Sénat dont le plus grand homme d’État de la démocratie avait dit qu’il serait la citadelle de la République[2] et qui, déjà, l’avait sauvée une première fois.

Il s’agissait donc de faire à Loubet une obligation de devenir le premier de l’État ; l’opération fut vivement menée. À la séance du jour, dès qu’il parut au fauteuil pour annoncer le décès de Faure et la réunion du Con-

  1. Michelet, Histoire de France, II 58.
  2. Gambetta, Discours, V, 63 ; VIII, 273 ; IX, 334 ; etc.