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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


séance[1]. On essaya de le raisonner avec la vieille duperie « du petit mal pour un grand bien », de le cajoler et de l’effrayer. Rien n’y fit, puisqu’il s’agissait de justice.

Sur les dix autres membres de la commission, huit[2] refusèrent avec lui, comme on a vu, de se déjuger, de subir le projet sous les espèces de Dupuy après l’avoir repoussé sous celles de Gerville-Réache. Deux seulement s’y rallièrent, comme à une dure nécessité politique, un Savoyard obscur, du nom de Berthet, et un ancien magistrat, Cruppi, plein de talent et de savoir, mais aussi pressé de parvenir. Il avait tenu tête, autrefois, comme ministère public, à Drumont, dans le procès de Burdeau, quand il appela la France juive d’une expression heureuse : « Le Bottin de la diffamation. » Maintenant, Drumont écrivait : « Cruppi, qui n’est encore que mon honorable collègue, mais qui sera probablement devenu mon ami avant la fin de la législature[3]. » Surtout, il avait siégé, à la Cour de cassation, comme avocat général. Nul n’eût été plus qualifié pour prendre la défense des juges outragés. Pour rentrer en lui-même, il n’avait qu’à lire les articles de Cassagnac sur cette loi « monstrueuse, sans précédent », mais que, d’autant plus, il fallait voter, parce qu’elle était « un soufflet à la magistrature républicaine », « le plus mortel outrage qu’elle ait subi » : « Cette magistrature, naguère honorée et respectée, vous l’avilissez, au point de traîner les juges suprêmes du pays, comme de simples bandits, devant un Parlement érigé en tribunal. Il vous plaît de

  1. Écho de Paris du 2 février 1899, lettre ouverte de Jules Lemaître à Dupuy : « Quant à la Chambre et au Sénat, parlez-leur d’une certaine façon… La Chambre, déjà est toute prête. »
  2. Christophle, Péronneau, Antoine Gras, Emmanuel Arène, Arthur Leroy, Déribéré-Desgardes, Delarue, Roch.
  3. Libre Parole du 6.